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Assurance-vie : des réformes qui agitent le monde de l’épargne

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Adopté début novembre dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, un double dispositif redéfinit le paysage de l’assurance-vie française. Deux mesures d’esprit opposé, qui soulèvent des réactions contrastées dans le monde de l’épargne.

 

D’un côté, la création d’un nouvel Impôt sur le Patrimoine Improductif (IPI), qui remplacerait l’actuel Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), entend inclure les fonds en euros dans son assiette. De l’autre, un amendement distinct ouvre la possibilité d’une transmission anticipée de l’épargne placée en assurance-vie, jusqu’à 152 500 euros par bénéficiaire pour les assurés âgés de 70 ans au 31 décembre 2026. Deux mesures d’esprit opposé, qui soulèvent des réactions contrastées dans le monde de l’épargne.
 

Pour Gérard Bekerman, président de l’Afer, première association d’épargnants de France avec 755 000 adhérents et deux millions de bénéficiaires, l’intégration des fonds en euros dans le futur IPI relève d’un « non-sens économique et fiscal ». L’argument est clair : ces supports, loin d’être improductifs, financent directement l’économie réelle. Sur les 1 200 milliards d’euros gérés en assurance-vie, plus de 80 % des encours des fonds en euros sont investis en obligations souveraines et d’entreprises, soit 618 milliards d’euros d’emprunts publics et 570 milliards d’obligations privées. Taxer ces placements reviendrait, selon lui, à pénaliser le financement même de la dette française et à fragiliser un marché obligataire déjà soumis à la hausse des taux longs.
 

L’Afer souligne également une contradiction juridique : comme à l’époque de l’ISF, l’assurance-vie n’est pas un actif patrimonial au sens strict, mais un contrat. L’imposition proposée contourne cette distinction en visant non pas le contrat lui-même, mais la poche en euros qu’il contient, qualifiée d’« improductive ». « Ce qui est improductif, ce n’est pas l’épargne, c’est cet amendement », résume Gérard Bekerman, qui y voit une rupture de confiance entre l’État et les épargnants.
 

La critique est partagée par d’autres acteurs du secteur, dont l’ASAC-FAPES. Son président, Éric Müller-Borle, alerte sur les conséquences pratiques d’une telle mesure. Selon lui, si la fiscalité a pour vocation d’orienter l’épargne, elle ne doit pas en dénaturer la finalité. Intégrer les fonds en euros dans l’IPI reviendrait à fragiliser la confiance des épargnants les plus prudents, ceux qui privilégient la sécurité du capital pour préparer leur retraite, faire face à la maladie ou anticiper la dépendance. Le fonds en euros, composé majoritairement d’obligations d’État et d’entreprises, constitue le socle du contrat d’assurance-vie : il garantit le capital investi tout en offrant un rendement régulier, compris entre 2,5 % et 3 % en moyenne ces deux dernières années.

 

Tournure sociale
Au-delà du débat économique, le sujet prend une tournure sociale. En l’absence de revalorisation du seuil d’imposition fixé à 1,3 million d’euros depuis 2011, l’inflation et la hausse de l’immobilier ont élargi de fait l’assiette de l’impôt. Pour Gérard Bekerman, il s’agit d’une injustice fiscale manifeste : en quatorze ans, les prix ont progressé de plus de 60 %, tandis que le seuil reste figé. Résultat : des ménages de la classe moyenne supérieure, qui ne se considèrent pas « fortunés », pourraient bientôt être imposés au titre de l’IPI, avec un effet de seuil jugé inéquitable.
Dans ce climat tendu, un autre amendement adopté le 3 novembre vient, au contraire, redonner un peu d’air aux épargnants âgés. À titre dérogatoire pour l’année 2026, il autorise les titulaires de contrats d’assurance-vie âgés de 70 ans au 31 décembre 2026 à transmettre par anticipation jusqu’à 152 500 euros par bénéficiaire, à condition que les primes aient été versées avant le 1er octobre 2025. Ce dispositif inédit permettrait de libérer une partie de l’épargne des seniors au profit des jeunes générations.
Les données de l’Observatoire des solidarités intergénérationnelles, réalisé par l’Ifop pour ASAC-FAPES, confirment cette tendance : 12 % des Français déclarent vouloir léguer à leurs petits-enfants, un chiffre qui atteint 24 % chez les grands-parents, tandis que 53 % des sondés citent l’assurance-vie comme leur outil préféré de transmission. « Cet amendement constitue une avancée majeure, car il offre aux épargnants la possibilité d’anticiper, de leur vivant, la transmission de leur capital, et donc de renforcer la solidarité entre générations », souligne Nathalie Lejeune, directrice générale d’ASAC-FAPES.

 

Pas de nouvel avantage
Reste que cette donation anticipée ne crée pas de nouvel avantage fiscal : elle s’impute sur le même abattement de 152 500 euros applicable au décès. Elle ne permet donc pas de doubler la franchise, mais de choisir le moment de la transmission. Les professionnels y voient un levier d’anticipation plutôt qu’un privilège supplémentaire, utile pour organiser sa succession en douceur, tout en maintenant la cohérence du système.
 

Entre la taxation du « patrimoine improductif » et l’encouragement à la transmission anticipée, la ligne de cohérence du gouvernement paraît fragile. D’un côté, l’exécutif dit vouloir renforcer la stabilité de l’épargne longue et la confiance des ménages ; de l’autre, il envisage d’imposer le produit qui incarne cette prudence. « Quand un État taxe la prudence, il décourage l’investissement et prépare la défiance », résume Gérard Bekerman. Dans un contexte de dette record et de transition économique incertaine, la France aurait sans doute plus à gagner à préserver la stabilité de l’épargne qu’à la fragiliser.
 

Sources : Projet de loi de finances 2026, Afer, ASAC-FAPES, Ifop, Observatoire des solidarités intergénérationnelles (novembre 2025).